La pluie ne cessait pas, elle tombait depuis plusieurs jours sans discontinuer sur l’île. Si bien, que certains cours en extérieur avait été annulé ou reporté. Seul les trombes tambourinant à la fenêtre de l'infirmerie venait perturber le calme qui régnait à Abberline. Après tout, plus grand monde ne traînait dans le coin vers 22 heures. Tout le bâtiment semblait désert. Seule Svanhildr demeurait dans la salle de repos, loin de l'agitation des dortoirs. Les yeux clos, le visage pâle et la respiration régulière. Si le temps avait découragé les élèves de mettre le nez dehors ces derniers jours, ce ne fut pas le cas de la Valkyrie. Elle ne prêtait aucune attention à ces détails climatiques quand il était question de son entraînement physique. Ni à sa santé d'ailleurs. Un simple rhume aurait du la prévenir de ne pas braver les cordes qui s’abbataient. Elle n'en fit rien et continua. Après tout ses séances intenses dehors lui permettait un sommeil plus calme. Rapidement son état se dégrada. Si bien qu'elle manqua de s'effondrer alors qu'elle se rendait au cours de théâtre. Depuis sa rencontre avec Jack. Elle avait fait preuve d'une assiduité remarquable. Son implication était réelle mais la fatigue s'amoncelait et les cauchemars devenaient de plus en plus handicapant. Un élève plutôt massif l'avait porté jusqu'à l'infirmerie. Sa fièvre culminait à plus de 40 lorsque la soigneuse l'a récupéra. Repos complet. On l'avait cloué dans un lit, à la merci de son sommeil.

Comment expliquer que dormir n'était pas synonyme de récupérer des forces pour l'Islandaise ? Comment expliquer la terreur que lui insufflait les lieux médicaux ?

Ses songes étaient particulièrement agités et incohérents. La jeune femme se tenait au milieu d'une immense pièce blanche, des électrodes sur les tempes, tandis que des personnages sans visages s'affairaient autours d'elle. Pieds et poings liés, elle était à leurs merci. Ses cheveux blancs se balançaient tandis qu'elle tentait de hurler sans que le moindre son ne sorte de sa bouche. Sur ses genoux ont pouvait lire un dossier avec inscrit son nom, des photos de son village en dépassait. Des images prisent après l'éruption. On pouvait y voir ses habitants scellés à tout jamais dans la cendre. Tout était si blanc, que cela en devenait douloureux. Svahildr semblait peu à peu disparaître dans le décor. Se fondre littéralement dans le sol, comme absorbé par cet univers. Soudainement, une douce aura chaude l’enveloppa, un bref instant. Comme une main sur son front. Puis elle s'évapora, un simple interlude. Sa bouche se déformait de plus belle, des cris glacialement silencieux. Personne ne pouvait l'entendre dans ses rêves. Pourquoi ne pouvait elle pas reprendre le contrôle sur ceux-ci ? Alors que le supplice continuait la scène semblait s’effriter. Comme perturbé.  

Dans la salle de repos, la jeune femme semblait juste endormie, en proie à un inconscient agité. Ses paupières s'agitaient, son corps était parfois secoué de tremblements, tout son corps se crispait. Ses méandres étaient des ennemis dévorants, dans lesquelles ils ne faisait pas bon de se perdre.

Les jours pluvieux étaient toujours emplis d'une mélancolie singulière. L'ange le pensait sincèrement, parfois il avait l'impression qu'autrefois, le morceau le ciel au-dessus de sa tête était toujours gris, et qu'il ne pouvait se défaire de cette pluie. Aujourd'hui, beaucoup de choses avaient changé, il se croyait être dans une période d'éclaircie, mais tout cela le laissait songeur. Appuyé sur le rebord d'une fenêtre pour se protéger des gouttelettes agressives, il finissait sa dernière clope avant de commencer sa séance théâtrale. Si le soleil n'était pas au rendez vous, il était certain qu'une fois passé la porte, il serait complètement dans son élément et oublierais ce maudit temps. Surtout que c'était beaucoup moins sympathique de voler dans ces conditions, de sécher les plumes aux retours. Le professeur de théâtre laissa ses considérations de côté et entra dans la salle qu'il avait réservé pour le cours de théâtre. Il fit rapidement l'appel, scruta les visages, lança l'échauffement sans trop de convictions. L'homme aux cheveux blancs fronça les sourcils. La petite Svanhildr n'était pas là.

Jack Deeper n'était pas du genre à suivre ses élèves partout, à vouloir savoir tout de leurs vies privées. En dehors du cours, ce qui se passait ne le regardait en général plus. Mais il y avait, chaque année, plusieurs exceptions. Si le professeur ne s'imposait pas à ses élèves, si ceux-ci lui demandait son aide, même implicitement, il n'hésitait pas à s'investir. La jeune islandaise faisait partie de cette catégorie d'élèves. Deouis leur rebcontre nocturne, Jack n'arrivait pas à définir ce qu'il était pour Svanhildr, elle était à part. Il lui avait donné sa plume noire sans vraiment réfléchir à ce que cela pouvait sous entendre. Il était donc inquiet de l'absence de la jeune fille, qui n'avait pas loupé un seul cours depuis cette fameuse nuit. Commençant à la connaître, avec sa manière de jouer notamment, il savait qu'elle n'aurait pas sécher sans une bonne raison. Pendant la pause, après avoir remercier ses élèves pour leurs attentions, il partit à sa recherche.

Finalement, il ouvrit lentement la porte de la salle de repos. Cela n'avait pas été difficile de convaincre l'infirmière en poste de le laisser entrer. L'élève était censée être sous sa responsabilité quand elle avait perdue connaissance, après tout. Rien d'étonnant qu'il vienne s'assurer de son état de santé. Car effectivement, comme il pouvait le voir par ses traits tirés et ses tremblements, la jeune islandaise n'allait pas bien. La fièvre devait rendre son sommeil agité, à moins qu'elle ne soit accoutumée aux terreurs nocturnes. Comme le bon professeur qu'il était, il fit un geste anodin en touchant légèrement son front pour juger de sa température. C'est bien trop tard qu'il réalisa ce qu'il venait de faire. Son pouvoir s'activa et il s'évanouit sur le bord du lit, plongeant dans les cauchemars de sa protégée.

Il rouvrit les yeux, tout autour de lui était blanc. Ce n'est pas cette couleur qui le mit tout de suite mal à l'aise, c'était l'atmosphère qui régnait dans les environs. Il se sentais oppressé, attaché, comme s'il ne pouvait plus bouger. Un cri essaya de sortir de ses lèvres, mais aucun son ne franchit sa bouche. Une terreur sans nom s'empara peu à peu de son être, jusqu'à ce qu'il se ressaisisse. Cette peur n'était pas la sienne. S'accoutumant peu à peu de son statut de rêveur témoin, ce qu'il n'avait pas fait depuis longtemps, il reprit ses esprits. Le grand atterrissage, comme il s'amusait à l'appeler, était maintenant effectué.

Jack pouvait maintenant se balader librement dans ce cauchemar bien trop lumineux à son goût. Le décor devint un peu plus net. C'était sans doute une salle d'opération d'un hôpital, et des plusieurs médecins examinait une patiente qui se débattait avec hargne. Dès qu'il vit les longs cheveux blancs s'agiter, il sût que c'était elle attachée à cette table d'opération. Comment une fille aussi jeune pouvait faire des cauchemar aussi horrible et réaliste ? Jack ne voulait pas savoir. Malheureusement, il vit la vérité dans les dossiers que tenait les hommes devant lui. Les photos du village sous les cendres eurent l'effet d'une choc violent. Personne ne le voyait, mais une larme de coula lentement sur sa joue. Les rêves sont des endroits trop intimes, c'est pour cela que l'ange préférait éviter de s'y introduire. Que dire quand on découvre de tels secrets dans la tête de quelqu'un. Comment fera-t-il fasse à l'islandaise au réveil ? Il tenta de s'éloigner de tout ça, comme si le monde où il se trouvait allait disparaître. Mais Svanhildr s'agitait toujours derrière lui, sans fin. Alors il avança lentement vers elle, posa une légère bise sur son front. Il prit ensuite sa main et ne pu qu'articuler que quelques mots :

"C'est fini. Tout ça est passé. Laisse aller les démons. Tant que tu y crois, tant que tu les retiens, ils ne partiront pas. Tu ne peux pas oublier. Je ne le peux pas non plus. Mais il faut avancer Svanhildr. Souvient toi, je t'ai dit que tu pouvais voler. Il te suffit de trouver cela en toi. Tu peux le faire, au moins en rêve"

S'il existait bien un endroit où le bouclier ne prenait pas effet, c'était bien dans les songes de la jeune femme. Ses journées étaient placides, vide de toutes émotions, mais ses nuits étaient intenses. C'était un phénomène récent, avant les cours de théâtres, ses ressenties restaient bloqués aussi dans ce subconscient encombré. Cependant une chose demeurait, au petit matin, il lui était toujours aussi impossible de comprendre toutes ces choses. Ainsi lorsque  les lèvres et la mains de Jack vinrent à la rencontre de sa peau, elle frémit, sentant son cœur rater un battement. Sa voix l'enveloppa dans un manteau rassurant et la salle commença a s'effondrer autours d'eux. La Valkyrie plongea son regard dans celui de l'homme, interloquée, confuse. Il était là, si réel. Si réel, que même en rêve elle ne supporterait pas de le voir souffrir. Ainsi lorsqu'un morceau de plafond allait se fracasser sur l'ange, elle arracha ses liens et vint le protéger avec son corps, tel un bouclier. Tout son corps était contracté, prêt à ployer sous le poids de la pierre. L'impact ne vint pas.

Ils se tenaient au milieu d'une forêt verdoyante. Le son des oiseaux détendit ses muscles et elle relâcha peu à peu son étreinte. Les arbres étaient en fleurs, il y avait une nappe à carreaux sous leurs pieds et un panier en osier débordant de mets. On pouvait entendre la vie autours d'eux. L'odeur du bois et de l'herbe fraîche venait chatouiller leurs narines. On pouvait, en tendant l'oreille, percevoir le bruit d'un ruisseau. Svanhildr ne connaissait pas cet endroit. L'islandaise se recula légèrement de l'homme, soudain gênée par cette proximité. Depuis quand connaissait elle la gêne ? Ses joues avaient quelques peu rosie. Tandis que chacun reprenait ses esprits, elle passa une main dans ses cheveux. Mais ceux ci n'était plus en bataille, ils étaient élégamment tressés, d'ailleurs elle portait une robe en dentelle aux motifs florales. Le genre de chose que la jeune femme n'avait pas dans sa garde robe. Une fois la surprise de sa tenue passée, elle reposa ses yeux pétillants sur l'homme.

"Jack ?"

Elle l'avait appelé par son prénom, d'une manière si naturelle. Comme si elle l'avait déjà fait des centaines de fois. Son ton était celui de l'étonnement, il n'était probablement pas réel. D'ailleurs, la blanche aussi, son comportement était si humain. Tout semblait à la fois totalement nouveau mais si habituel.

"Je ne comprends pas ou nous sommes. Je n'ai jamais vu cet endroit. Ca arrive parfois." Une brise douce vint soulever leurs mèches blanches, portant avec lui le son de rires enfantins et lointains. "Mais je suis heureuse que tu sois là" Et Svanhildr sourit. Pas l'un de ses sourires de circonstances. Non, un sourire radieux, apaisé, serein. Un sourire qui n'existait pas encore dans le présent, puisque jamais personne n'avait pu l'éveiller encore.

"Ce n'était pas un cauchemar. C'était mon passé. Il me semble si lointain maintenant." Ses mots étaient apaisés. Naturellement, la jeune femme vint s'allonger à coté de l'homme, posant sa tête contre lui et d'une main distraite enroulait une de ses mèches de cheveux entre ses longs doigts. L’Islandaise avait l’impression d’être à des lieux de son quotidien si morne. Un soupir d'aise lui échappa.

" Tu as découvert cet endroit en te promenant. Tu avais l'air tellement heureux en rentrant que tu m'as immédiatement conduit ici. Pour partager ça. C'est devenu l'un de nos refuges favoris."

Le soleil perçait a travers les feuillages et venait caresser leurs visages. La blancheur de leurs cheveux scintillaient en reflétant les rayons, comme un écho. De loin, on aurait pu croire que deux anges s’étaient perdu dans ce bois.

"Mais je ne sais pas ce que fuyons. Ni pourquoi."

Son esprit semblait troublé, embrumée. Tiraillé entre ces choses qu'elle savait et toutes celles qu'elle ignorait.

" J'ai toujours eu des nuits étranges. Quand j'étais toute petite, avant que mon bouclier ne m'engloutisse, je faisais des rêves et le lendemain, tout se déroulait presque de la même manière. Je pensais que c’était des coïncidences. " Une pause. L'islandaise semble réfléchir " Je viens à peine de me souvenir de cela. Ma mère me disait que ça lui arrivait aussi. Que je ne devais pas en avoir peur. Que je pouvais savoir toutes sortes de choses." Elle fronça les sourcils " Pourquoi je ne l’ai pas réalisé avant ? "

C’était une question qui n'appelait pas de réponse. Une moue boudeuse passa sur le visage de la jeune femme. C’était frustrant cette sensation d’être perdue en soi même. La respiration lente du professeur calma cette confusion. Il était là, dans son monde onirique. Évidemment, c’était une construction de son esprit. Comme tout le reste. Même s’il était capable de pénétrer dans les songes jamais il n’aurait pu franchir son bouclier. Une fois, une télépathe avait tenté de s’immiscer dans son esprit. Elle ne rencontra qu’un mur immense et épais, infranchissable. Aucun de ses professeurs de gestion de don n’avait réussi à l’aider à maîtriser ce pouvoir. Elle tourna la tête, accrochant son regard au celeste. Jusqu’à Jack. Elle aurait voulu lui dire qu’elle le remerciait pour tout, qu’il était devenu quelqu’un d’important dans sa vie. Lui promettre de ne jamais le décevoir. Mais aucun son ne passa ses lèvres. Quel intérêt de révéler ce genre de chose à une illusion ? Et puis, c’était un homme sensible et intelligent, peut être parviendrait il à comprendre et ressentir ce qui se tramait dans l’esprit enneigé de la jeune femme.

Les sons portés par la brise printanière se faisait parfois intelligible. Deux voix cristallines au loin. on pouvait à peine distinguer les silhouettes derrière les arbres. Elles se seraient probablement envolés s’ils étaient allés à leur rencontre tant elles semblaient incertaines.  

"Vient Arelia, on va faire une couronne de fleurs pour papa."

Tout cet instant semblait suspendu dans le temps. Et dieu que cela était agréable. Cela lui rappelait leurs première rencontre nocturne dans l’amphithéâtre. Il n’y avait qu’avec le professeur que le sablier semblait ainsi ralentir sa course. Les secondes, les minutes, les heures… Toutes ces notions disparaissaient. Ensemble, ils parvenaient cet exploit de stopper la course de Chronos. Une proximité semblait se créer entre eux. Pas ce rapprochement pédagogique entre un professeur et son élève. Non, comme deux êtres qui cherchent à se découvrir l’un et l’autre.

L’Islandaise se redressa légèrement et tandis une main timide vers le dos de Jack. Elle ne pouvait pas supporter la distance entre eux. Ses mots résonnaient dans son esprit. Voir le futur ? Impossible. Il ne pouvait être aussi radieux. Elle restait dans un rêve et l’homme qui se tenait là, n’était qu’un songe, ainsi que tout ses mots. De ses lèvres pâles aucun sons ne semblaient sortir. Son corps s’anima sans qu’elle ne s’en rende compte. Son professeur semblait inquiet et cette vision était intenable. Elle s’approcha avec douceur puis passa ses deux bras autour de lui. Elle l'enlaçait avec une proximité qui lui était probablement impossible dans le monde réel. Le contact de leurs peaux fit frissonner la jeune femme. Leurs odeurs s'entremêlaient. La Valkyrie posa sa tête sur l’épaule du comédien. Elle pouvait désormais sentir le souffle de l’homme sur son visage. Sa voix devint un murmure, un chuchotement.

“ Mon bouclier, tu l’as fendu, cette nuit dans l’amphithéâtre. Une brèche s’est ouverte et depuis elle n’a cessé de s’étendre. Pour toi. L’égide n’a pas su retenir la violence de ces sentiments nouveaux. Mais la guerrière ne sait pas comment nommer et appréhender ce genre de chose.”

Elle ferma les yeux quelques instants. Qui venait de révéler l’ébauche de sentiment qu’elle pouvait ressentir pour lui ? La Svanhildr du futur ou l’étudiante fiévreuse ? Cela demeurait un mystère. Pourquoi même dans ses rêves, Jack était il aussi terre à terre ? Évoquant déjà l’après. Elle le connaissait déjà si bien pour pouvoir le rêver de manière aussi fidèle ?
Oui, elle l’avait observé souvent, lors des cours ou elle jouait pour lui. Elle n’aurait pas été capable de faire cela pour quelqu’un d’autre. Une fois elle l’avait aperçu prenant le soleil dans l’herbe, un livre posé à coté de lui. Telle une ombre en pleine après midi, elle s’était approchée, pour le contempler. La sérénité qui émanait de lui l’avait frappé. Ils se croisaient régulièrement dans les couloirs. Se saluant rapidement d’un signe de tête avec distance.

“ A mon réveil, tu n’existeras plus. Je ne pourrais pas t’approcher de cette manière. Prendre ta main dans la mienne sans craindre que tu ne me repousses.”

Elle joint le geste à la parole et vint entremêler ses doigts dans ceux de Jack. Une chaleur réconfortante l’envahit immédiatement. Elle souhaita alors que tout cela ne cesse jamais.

“ J’aimerais pouvoir me tenir près de toi jusqu’à la chute des étoiles. Que ce songe perdure indéfiniment. Après tout, la réalité n’est qu’une conception. Cela pourrait devenir la mienne. J’ai l’impression que rien ne m’attends éveillée puisque tu seras redevenu mon professeur. ”

Son existence semblait si placide. Elle venait d’avoir un avant-goût de la vie et elle n’aurait pas cette occasion dans le monde réel. Jack Deeper était son professeur avant tout, il prenait souvent soin de ses élèves et s’impliquait réellement envers eux. Jamais il ne la regarderait, aussi particulière soit elle. Si elle devait se réveiller, l’Islandaise souhaita alors ne se souvenir de rien. Son bouclier ici ne prenait pas effet. Et elle ne voulait pas ressentir la nostalgie et l’amertume d’un monde inaccessible. Avec un peu de chance, ses sentiments pour le comédien n’était pas si étendu à Abberline ?