▲ Je suis né il y a un peu moins de vingt ans, dans l'une des plus grosses villes des États-Unis. J'eus droit à un père et une mère tout ce qu'il y a de plus banal. Wilfred et Tess, un jeune couple sans histoire et sans bague au doigt. A ma naissance, j'héritais du prénom de l'arrière grand-père maternel et du nom de famille de l'autre branche. Mon père était ce genre de type imposant à inspirer le respect, le mec que t'emmerde pas pour des cigarettes ou son portefeuille. Pour la simple et bonne raison qu'une baffe te décollerait le cerveau du crâne. Ma mère en revanche était typiquement le portrait de la jeune femme planquée derrière de grosses lunettes, aux cheveux tressés et à la voix quasi-inaudible par le tiers monde. Mais je n'eus le loisir de la connaître davantage. Elle décéda dans un accident de voiture dans le courant de ma sixième année, sans s'être mariée. A en croire les récits de mon père, elle n'avait jamais eu plus sérieux petit ami et compagnon de vie que lui. Je n'en doutais pas, au fond de moi, mais une partie de ma conscience criait qu'elle aurait mérité mieux que ce grand type un peu bizarre. Car au-delà de mon rôle d'enfant, j'étais surtout un spectateur et un critique de ma propre vie.

Wilfred retrouva l'amour après trois ou quatre années de célibat, auprès d'une femme du nom de Lahna. Une putain de pompe à frics. Mon paternel avait déjà enclenché sa descente aux enfers ; Alcool, catins, jeux de hasard... Et intimement, je me doutais des origines de leur rencontre. Mais à dix ans, vous n'avez aucun droit de parole. Même à vingt, ou trente. Cette femme me dénigrait, comme toute salope à l'affût du moindre centime. Elle lui suçait son argent, celui de ma propre mère et de ses maigres économies. L'école n'en fut que plus difficile. Ils me retirèrent de l'enseignement privé pour du public et je tombais en dépression, sans me l'avouer, et sans le confier. C'est ainsi que sur recommandé, mes « parents » ou plutôt mes géniteurs me forcèrent à aller voir le psychologue de l'école. Il était gratuit et me gardait une heure – parfois plus – après les cours pour m'obliger à dévoiler mes pensées, à relâcher d'imaginaires pleurs. Mais rien. Non, je ne lui offrais rien. Pas même la moindre petite satisfaction. Il ne fallut pas plus de quelques mois pour que Lahna ne convainc mon père de se marier avec elle. Et mes années n'en furent que plus dures. Mon « don » gagnait secrètement du terrain sur ma vie et sur ma santé mentale, un peu comme un piège qui se referme progressivement, comme un poison lent. Je n'avais aucun ami, ni amour, ni famille. Wilfred n'était plus qu'un cadavre et ma belle-mère, une énorme truie huilée. Ayant alors tout mon temps pour les questions existentielles au sujet de mon « pouvoir », je me mis à fouiller quelque peu mon arbre généalogique. Mais là encore, rien. Pour tout vous dire, je ne le trouvais même pas. Ce ne fut que dans le bureau de mon paternel que je trouvais une lettre de ma mère, censée me revenir à l'âge de raison. Dans le contenu, elle m'expliquait que notre lignée descendait d'un démon. Normal hein, tous les jours ! Et que celle-ci ne s'était jamais éteinte depuis plus de deux-cents ans. C'était une histoire folle, mais je fus bien obligé d'y croire.

Pour vous résumer la suite, à seize ans, je quittais l'école et entamais ma petite vie sur les réseaux sociaux. A dix-huit, je ne délaissais plus ma chambre. Sanctuaire morne qui devint un dépotoir de fast-food, d'assiettes en plastique, de gobelets, de couverts, de papiers... Entre deux, le net me fut coupé mais ne changea rien à ma relation avec eux. Un an plus tard, Il vint. J'ignore quelle image Il put avoir de moi, si ce n'est un enfant perdu entre vents et marées, rongé par cette « chose » qu'est le don, et la dépression. Aujourd'hui, une nouvelle opportunité s'offre à moi ; Celle de me construire une vie. Je n'ai plus qu'à... La saisir.