Le jour se levait à peine. Une ligne bleutée, claire et perdue à l'horizon, annonçait le flot de couleurs à venir. En ce printemps fort chaud, il régnait, sur l'île, un calme des plus absolus. Bientôt, le chant des oiseaux se mêlerait aux activités humaines, créant une riche mélodie qui appellerait tout le monde à saluer le lever du soleil. On entendrait les vaisselles cliqueter dans les cuisines affairées et une certaine animation gagnerait les rues de la douce Alaria. Au pensionnat, les plus matinaux se lèveraient pour aller prendre leur petit-déjeuner.
Mais pour l'instant, tout n'était que silence et promesse d'un jour nouveau. Il faisait encore nuit, ou presque, et l'éclairage public brillait de ses lueurs orangées. Hommes et bêtes, tous dormaient ; tous, sauf Anko, ni homme, ni bête et parfaitement réveillée.
La tanuki ne dormait jamais – c'était, du moins, ce que disaient les rumeurs. Comme on disait aussi qu'elle avait trente doigts et deux cents manières de cuisiner le tofu, elle n'y prêtait pas spécialement attention. Voilà jusqu'où pouvait aller la jalousie des gens ! Bien sûr qu'il lui arrivait de dormir. Par période de vingt minutes. Tous les deux ou trois jours.
La tanuki ne dormait pas ; au contraire, elle s'activait. Les pieds dans ses bottes et les mains dans la terre, couverte de boue, les oreilles et la queue au vent, elle prenait grand soin de ses plantations. C'était maintenant, avant la rosée, que certaines des herbes aromatiques se cueillaient afin de donner le plus de parfum et de vigueur au plat. Et il en fallait, des herbes et des épices, pour contenter tout ce petit monde. Le « modeste potager » d'Anko et de ses collègues s'étendait sur plusieurs dizaines de mettre et cette parcelle ne concernait que les herbes. Fruits, légumes et racines poussaient un peu plus loin et couvraient un espace plus grand encore.
Certaines herbes ne sont bonnes que fraîches et d'autres ont besoin d'être séchées avant consommation. Anko faisait d'abord sa cueillette et mettait les petites feuilles de côté, puis s'occupait de mettre en pot certains pieds dont elle découperait la feuille directement au-dessus du plat, en cuisine. C'était la partie la moins amusante de son travail – elle aurait préféré être chez elle à regarder du kabuki en DVD, merci bien – mais depuis « l'incident du basilic », elle préférait ne plus confier cette tâche aux jardiniers. Et puis, pouvoir librement passer d'une main pleine de doigts à une patte pleine de griffes lui apportait une certaine facilité dans ce genre d'entreprise.
La tanuki en était à ce point-là de sa matinée – les griffes dans la terre, en train de cueillir du thym à la lueur d'une lampe-torche coincée entre deux rangées de dents pointues – lorsqu'elle décida qu'une petite pause s'imposait. Elle se releva, les mains sur les hanches et s'agita un peu, comme un chien qui s'ébroue hors de l'eau, avant de prendre une rasade de la grosse bouteille bien bombée qui pendait à sa ceinture.
« Ah, la binouze, y'a qu'ça d'vrai ! » S'exclama-t-elle avec un soupir de contentement, seule dans son potager.