Les parcs et jardins d'Abberline. Vaste étendue de verdure et de massifs floraux, qui s'étend des pieds du pensionnat jusqu'aux limites du regard. L'horizon est infini, parfois relevé par les murs d'Alaria ou les formations naturelles du paysage. Il y règne un calme d'une grande pureté, seulement troublé par les chants des oiseaux, le bruissement des ailes des insectes, le vent dans les feuilles et la mélodie d'un cours d'eau. On y voit régulièrement des élèves ou des membres du personnel s'y prélasser à l'ombre. D'un bosquet à un autre, on peut parfois entendre leurs discussions et leurs rires, que quelques notes de guitare viennent compléter.
Aujourd'hui, on pouvait y entendre une chanson – lancée d'une voix forte et embrumée par l'alcool, et souvent interrompue par de nombreuses gorgées. Les paroles parlaient de pétales de cerisier qui délicatement viennent orner des coupes de sake dans le petit pavillon caché, mais se transformaient régulièrement en appel :
«
CECIL ! CECIIIIL ! CECIL, OÙ T'ES ? C'EST L'HEURE D'TON P'TIT GOÛTER ! »
Pattes de chiens et mains humaines, Anko avançait, battant le rythme de sa chanson, un panier sous le bras. Elle n'était pas plus ivre que d'habitude. La gourde de terre cuite qui pendait sur ses hanches était bien pleine, bien qu'elle s'employait à s'arrêter régulièrement pour la vider. Un appel, une gorgée, et hop, un autre couplet !
Les oiseaux fuyaient par nuées des arbres où elle s'approchait et les petits animaux retournaient dans leurs terriers. Elle avait le poil mate et n'était pas coiffée, la tête recouverte d'une grande feuille un peu défraîchie. Sa dernière douche remontait à loin, si on se fiait aux épluchures de légumes qu'elle avait encore sur les poignets et aux autres petites crasses qu'elle arborait presque comme un trophée.
Elle était entre deux services en cuisine et en avait profité pour partir à la recherche d'un de ses petits protégés. Cecil Azami, un gamin qui avait eu une phase « je pense avec mes poings » qu'elle avait trouvé juste trop chou. Depuis, elle n'avait cesse de bien le nourrir et le chouchouter. Qui mange bien ne peut pas devenir quelqu'un de mauvais, non ? Et prendre un goûter, c'est important. Livré en main propre, c'était encore mieux. Comme le p'tit aimait bien se planquer dans les coins les plus tranquilles – surtout quand il la sentait arriver, mais elle avait décidé de ne pas prendre cette information en compte – la tanuki le cherchait avec insistance. Le parc lui semblait être une bonne idée. On pouvait s'y planquer et être tranquille, il aimait bien ça, le p'tit.
Enfin, elle tournait depuis un petit quart d'heure maintenant, et impossible de trouver autre chose que les regards – ulcérés, moqueurs, désespérés – du restant de la communauté éducative. Il allait bientôt falloir passer aux choses sérieuses. Comme s'asseoir et manger le goûter elle-même, par exemple. Mais ce n'était qu'une solution à court terme, bonne pour calmer ses nerfs – si elle mangeait ce panier-là, il faudrait bien qu'elle aille lui en refaire un autre, et il en profiterait pour se carapater, le bougre. Franchement, les gosses, j'vous jure.
Ne perdant pas courage, Anko continua de s'égosiller.
«
CECIL, SI TU SORS PAS, JE VAIS CONTINUER A GUEULER ! LES TARTINES REFROIDISSENT ! »