Le théâtre avait toujours plus ou moins attiré Natalya. Elle trouvait quelque chose de fascinant dans cet art - et ce fut donc avec plaisir qu'elle s'était inscrite au cours d'art dramatique. Lorsqu'elle s'était rendue au secrétariat, une jeune femme lui avait d'abord dit qu'elle avait manqué le premier cours, ce à quoi l'étudiante avait répondu avec une anxiété qui ne lui ressemblait pas du tout. Son air assuré ne le laissait certainement deviner à ce moment-là, mais le théâtre était le seul cours facultatif qu'elle (elle en tout cas) trouvait digne d'intérêt - et Natalya n'était pas le genre de personnes à se suffire de quelque chose, ce quelque chose étant ici les cours "normaux" tel que le français, les langues ou les mathématiques. Si elle était venue à Abberline, c'était pour recommencer sa vie en quelque sorte, et plus spécialement sa scolarité. Alors, autant bien le faire, non ?

- Quooiii ?! M-Mais on peut pas s'inscrire en cours de route ? Ou quelque chose du genre ?!
Mais faites votre travail bon sang !

La secrétaire essuya magistralement ce dernier commentaire avant de taper quelques mots sur son ordinateur. Elle lut ce qui semblait être un formulaire et se retourna vers la poltergeist, lui répondant d'une petite voix qu'un cours pour les retardataires était prévu.
Le visage de Natalya s'illumina, puis reprit l'expression moqueuse qui lui était plus habituelle. Elle fit un "merci" à peine audible à l'égard de la secrétaire et quitta la pièce en courant.

C'était à cela que pensait l'adolescente, maintenant assise sur les gradins de l'amphithéâtre, un petit sourire étirant ses lèvres. Elle s'était glissée dans le groupe que formait les autres inscrits, attendant, comme eux, l'arrivée de leur professeur. Ce mot sonnait mal dans la tête de Natalya mais, rien que pour avoir organisé un cours pareil, elle lui pardonnait. Hu.
Elle fut certainement la première à se lever, trop impatiente de commencer -et sûrement aussi fatiguée de rester assise-. Elle dévala les marches des gradins, troublant quelque peu le calme de l'amphithéâtre, et arriva sur la scène d'un seul bond. La poltergeist s'avança -cette fois plus calmement- jusqu'au professeur, lui et ses élèves formant maintenant un cercle parfait.

Elle écouta son petit discours d'une oreille distraite, regardant plutôt derrière elle... -Différentes choses. Natalya préférait se concentrer sur les consignes, ayant bien vu qu'elle était première et qu'elle n'aurait personne sur qui s'appuyer. Elle s'avança de quelques pas, faisant mine de réfléchir.

Hum. Il fallait mimer un conte. De doux souvenirs remontèrent dans la tête de la jeune fille. Dans son manoir biélorusse, elle lisait et relisait le Père-Gel, la soeur Alionouchka ou la Reine-Grenouille - des contes inconnus pour la plupart mais qui ont ce charme particulier. Natalya aurait pu présenter l'un d'eux au professeur, mais une autre perspective s'offrait à elle; il n'était pas obligé de connaître ce dit-conte. Donc, logiquement, elle-même n'était pas obligée de lui décrire un véritable conte... Elle pouvait très bien l'inventer ! Ca ne respectait pas vraiment les consignes, mais Mr.Deeper voulait évaluer leur imaginaire. Il lui passerait certainement ce léger détail.
Le sourire de Natalya s'élargit encore plus. L'histoire commençait à s'écrire dans sa tête.

Il était une fois...
Déjà, il lui fallait une princesse. Un conte sans princesse n'était pas un conte.
Il était une fois une princesse, qui descendit des cieux pour aller sur la terre...
La poltergeist tendit son bras au-dessus de sa tête, le poing levé, avant de le redescendre lentement et de le poser sur le sol. Ce geste lui était venu d'un coup, et elle supposait que c'était ce que le professeur attendait d'eux.
Elle rencontra un jeune homme sans argent, à l'existence pauvre et misérable.
Pour mimer le personnage, Natalya, les bras ballants, la tête basse, prit une mine triste et désolée. Elle devait faire en sorte d'attirer la pitié des autres.
La belle princesse fut prise d'une grande empathie pour le paysan. Elle le bénit et retourna au ciel.
Elle joignit ses deux mains devant elle, pour symboliser le lien de la princesse et de l'homme. Puis elle retourna à sa place, toute guillerette.
... Voilà. Ce n'était pas un véritable conte, il n'y avait pas vraiment d'histoire et la fin était plus que bancale. Mais c'était son conte à elle et Natalya en était fière.
Elle n'avait plus qu'à espérer que le professeur n'était pas assez vicieux pour aller vérifier les histoires de ses élèves sur le net...

Svanhildr s'était mise légérement en retrait du petit attroupement autours du professeur. Ce n'était pas volontaire, juste une habitude. Mais Deeper l'avait remarqué, leurs regards s'étaient accrochés un instant. Il avait finalement réussi à la faire venir. Leur rencontre nocturne avait porté ses fruits. Elle avait écouté attentivement les explications de Deeper. Son attitude si calme tranchait clairement avec l'impatience dont faisait preuve l'autre élève. Son sourire semblait s'élargir au fur et à mesure des minutes. Ce fut d'ailleur la poltergeist qui ouvrit le bal. Sans gène, sans doute. L'Islandaise avait observé sa scène avec une certaine envie. Esperant qu'elle dure assez longtemps. Quelle était cette légère torsion dans sa poitrine, le trac ? C'était nouveau cela. Pourquoi redoutait elle son passage, elle qui se fiche de tout usuellement. L'angoisse de décevoir son professeur peut etre. La poltergeist termina. Le coeur de Svanhildr battit un peu plus fort tandis qu'elle s'écartait du groupe. Elle se placa au centre de la scène et ferma les yeux. Le conte, elle l'avait déjà choisi, tout n'était qu'une question de compréhension des sentiments des protagonistes maintenant. Tout son corps se tendit, comme lorsqu'elle s'apprettait à mener bataille. Une minute ou deux s'étaient écoulés depuis qu'elle avait prit place. Ils ne faut pas que son public soit impatient avec elle. Vide toi, inspire, imagine, expire et joue. C'était un vieux mythe que sa mère lui avait raconté lorsque Svanhildr lui avait demandé ce qu'était l'amour. L'histoire d'une Valkyrie envoyé par son père pour punir une union incestueuse.
La voix mélodieuse de sa mère envellopa son esprit. La blanche, alors, s'anima.



Fin de la scène. La chute avait était violente. Elle s'était légérement laissé entrainé par sa vitesse. Heureusement, elle avait apprit comment tomber correctement. Sa maitrise martiale allait etre mise à profit dans ce cour. Svanhildr retourna auprès de ses camarades en silence. Son visage avait recouvré cette éternelle expression stoique. Svanhildr avait montré, sa vision de la colère, la déception, l'amour et la résilience dans un creshendo corporelle. Elle ne semblait pas comprendre ce qu'il s'était produit en elle. Mais durant tous ses gestes elle avait conservé une mesure, une maitrise, telle une épeiste.